Artiste reconnu, membre de l’agence Magnum, Antoine d’Agata a publié en octobre 2004 son douzième livre, intitulé Stigma, aux éditions Images et Manœuvres. Un an plus tôt, chez le même éditeur, était paru Insomnia, ouvrage qui abordait déjà les thématiques du sexe nocturne. Dans Stigma, en 42 photographies, parfois en double page, Antoine d’Agata nous plonge dans l’univers des bordels européens.
La photographie choisie pour la couverture du livre interpelle : on y voit , un homme agenouillé sur un lit, en train se masturber. La photo, dans les tons roses, est comme voilée, légèrement floutée. A l’intérieur du livre, d’autres photos de femmes seules debout, chancelantes, ou de solitaires à la recherche du plaisir, d’hommes et de femmes se chevauchant, perdus dans leurs sensations.
Le contexte de ces photographies est loin d’être clair si l’on ne fait que feuilleter Stigma. Mais lorsqu’on s’y plonge, la citation de Georges Bataille en première page nous oriente : « Tu devrais me conduire au bordel. J’aurais voulu mourir dans un bordel »
Les quatre pages qui suivent, écrites par le journaliste Philippe Azoury (Libération) nous posent les circonstances dans lesquelles ces photographies ont été prises. Le photographe et le journaliste se sont rendus dans le quartier des prostitués de Las Palmas, aux îles Canaries. Ce quartier ne se résume en fait qu’à une seule rue où se mêlent drogués, prostitués, transsexuels... : « Il demandait la rue (…) Et à deux heures du matin, aucun équivoque possible. Cette Rue (…) est un trottoir ».
Entre les ébats de ces corps affamés, troubles, presque fantomatiques, des photos intercalées d’édifices anonymes, que l’on ne peut situer n’importe où en Europe. On sait que les photographies ont été prises à las Palmas, à Naples, à Vilnius, à Brest ou encore à Paris, mais il est bien impossible de les identifier. La froideur de ces lieux fait écho à la dureté qui ressort de ces clichés, où le sexe est montré dans son aspect le plus cru, sans fioriture.
Ces hommes et ces femmes on l’air de cannibales prêts à se dévorer, la faim au ventre. Leurs corps se plient ou se déploient, les visages se tordent sous l’orgasme, les rictus ont quelque chose d’effrayant.
Ce ballet macabre nous amène au bord de l’écœurement, que Philippe Azoury partage avec nous : « Pénétrer pour vérifier quoi ? Que la sensation de dégoût n’est pas morte, qu’elle monte, prend à la gorge, et reflue. Que ça fait encore quelque chose, même de pas agréable, le spectacle d’une fille nue comme du silicone, au sourire mécanique, qu’elle répète avec une indifférence de machine (..) Je suppose qu’il fallait la croire pour la croire, cette réalité. »
Ressort de tous ces clichés un sentiment d’extrême solitude, tant pour les solitaires que pour les couples ; l’alliance des corps, provoquée ici par l’argent, n’a rien de sincère.
par Mélanie Jourdan
Langue : Français
Éditeur : Images en Manoeuvres
Date de Publication : Septembre 2004
Type Reliure : Relié
Pages : 64
ISBN 10 : 2849950092
ISBN 13 : 978-2849950098